Café-Croissant des vacances #4 -Jardin des thés
Mon téléphone a choisi cette semaine une photo que j'adore... et pour cause c'est mon fond d'écran. Cette carte postale sent la Tunisie, j'espère que vous sentez. Et que vous (vous) sentez bien !
Sainte-Colombe le 22 août 2024.
Cher Jardin de Tonton,
Je t’écris parce que cette photo me fait penser à toi.
Elle a été prise non loin de toi et j’ai un doute si c’est chez la fille de ton propriétaire ou chez sa soeur.
Tonton Youssef si tu lis cette carte je ne peux pas t’en vouloir car il faut bien que tu distribue le courrier, mais c’est bien une correspondance destinée à ton Jardin ! Celui qui est adjacent à celui de ton frère d’ailleurs, ne te trompe pas !
Je n’ose pas revenir car j’ai peur que mon enfance ne soit plus. J’ai peur que les choses aient changé et qu’elles n’altèrent mon troisième pays, celui de mes souvenirs de chair et de sang. Pourtant la dernière fois que je suis venue rien n ‘avait changé… Les cousins et cousines étaient toujours des gosses à discuter toute la nuit dans la même chambre… pour se raconter les mêmes souvenirs chez les autres. Parce que chez un oncle ça peut être chez ton père ou ta mère pour l’un mais chez ton autre oncle pour l’autre ou un peu des deux on ne sait plus.
T’as hébergé des paons. J’ai même des plumes chez moi que Tata m’a données.
C’est fou ce que tu as imprimé en moi parce que je ne m’aventurais que rarement tout au bout de ton territoire. T’étais très mystérieux. La faute au soleil blanc qui inonde le carrelage du trottoir qui entoure la maison. Frontière dissuasive, il faut naviguer dans les bons horaires. Surtout quand on traîne pieds nus et que soleil et scorpions deviennent une rengaine d’adultes…
Le soir c’est bien. Le jasmin s’ouvre et commence à exhaler. D‘ailleurs ce nom de fleur je l’ai donné à quelqu’un qui m’est très chair depuis.
À tes pieds j’ai même gouté de la roquette sauvage bien corsée qui pousse au beau milieu de ce qui s’apparente de très loin à une pelouse. Encore moins à un gazon anglais… Quand on est planté sur un sol rouge sableux qui vénère la moindre goutte d’eau, ça prend tout son sens ! Ça s’était juste avant que mon cousin me rappelle la présence des canards et leur ignorance des toilettes.
Me demande ce que peut bien t’apprendre le changement climatique à l’heure actuelle parce que t’as pas eu trop besoin de leçons en matière de sécheresse.
Pourtant tu étais prolixe en matière de fruits.
Les figues de l’arbre dans lequel il fallait grimper nous les enfants.
Les citrons dont on ne savait s’ils étaient verts verts ou jaunes cueillis verts, ou des bergamotes.
Ahhh la bergamote (ne prend qu’un thé je le rappelle)…
Le micro laps de temps où j’en vois en France j’en achète pour sûr ! Curieusement on en trouve de plus en plus…
C’est comme les pêches plates, quelle bonne blague ! La France, grâce à l’Espagne, a découvert ça il y’a quelques années. Mais c’est un ersatz des vraies, des pas hybridées. De celles qui ont le goût de rose et que l’on mord avec la peau, les bien fondantes qu’on a connues par ici. Rien que la forme ! Aplatie, complètement naturelle… pas comme les poires tapées en France qui s’en prennent plein la gueule une fois bien desséchées, les pauvres. Spécialité régionale ! Je ne sais pas si tu connais c’est un truc pour les conserver. Un genre de lifting et de momification à la fois.
C’est drôle d’ailleurs quand on goûte ou qu’on voit pour la première fois un aliment qui diffère de “chez soi” ... Quand on a la chance d’avoir un autre chez soi on finit par le voir comme ce qui est parfaitement de mise.
Qui donc sort du lot dans ce cas ?
Cette odeur et ce goût du thé.
Par quoi commencer ? La rondeur ambrée du goût qui brûle un peu le bout de la langue si l’on est trop impatient ? La très légère mousse une fois versée, dessinée par quelques micro-bulles éparses sur le pourtour du verre ? Ce goût de menthe qui devient chaud et ambré lui aussi ? Ce goût que je n’ai jamais réussi à refaire et qui n’a pas la même note ailleurs ? Le bruit du couvercle de la théière et de ce son typique de métal conique qui retombe ? Avec un léger décalage car il y’a toujours un peu de jeu… Ça sonne très creux et très clair. Je connais celle de la théière de célibataire de mon père… que j’ai chez moi figure-toi ! Un truc rescapé comme sa couverture en laine bleue (on dirait qu’elle est toujours neuve tellement ce tissage est increvable !). Je m’en sers quand on a envie de deux thés différents le matin avec Monsieur.
Monsieur n’est pas du tout formel je te rassure, c’est juste un nom d’usage. Non, ce n’est pas réservé qu’aux femmes.
J’aimerais bien l’emmener chez toi. En passant sous l’amandier qu’il faut éviter pour ne pas attraper de poux d’amandes ! Je me demande si c’est un mythe ou si ça existe vraiment ces bestioles. Et quelle gueule elles ont aussi…
Je viendrai te voir en me disant que tu n’as pas du trop changer.
J’en suis sûre.
Je t’embrasse avec mes narines et mes yeux éblouis.
Shéhérazade.
Le mois d’août avance et les cartes postales s’écoulent. La semaine prochaine un nouveau tirage au sort de mon téléphone viendra clore ce mois. Peut-être que les cartes se prolongeront un peu à la rentrée pour un goût d’été indien, à vous de me dire si vous en avez envie !
La question de la semaine accrochée au timbre : Quel est le lieu associé au territoire de votre enfance ? Un lieu sanctuarisé, celui qui vous vient à l’esprit comme une bulle de thé qui éclate en surface…
Bisou, bisou !