“Excusez-moi ! Ça vous dit un très beau livre?”
J’étais le nez dans La vie mensongère des adultes d’Elena Ferrante. Giovanna vient de voir apparaître la cheville de sa mère emmêlée aux chevilles de Mariano sous la table. La fin de la seconde partie annonce le chiffre romain III.
Quelques minutes avant nous étions juste plusieurs tables à manger une part de pizza, tantôt avec des couverts pour la plupart, tantôt avec les doigts (moi). Alors que la pâte très bien élevée de la pizza al taglio garde ce petit millimètre bien cuit en rez-de chaussée et rend les couverts peu habiles, j’ai cédé.
J’ai eu beau tenter cette coutume de personne bien éduquée moi aussi, mais après plusieurs tentatives, décidément il n’y’a rien à faire : l’assiette est trop petite, le rebord extérieur légèrement incurvé tombe extrêmement mal sous le couteau sensé couper, le geste est contrarié, ça accroche sévèrement. Il faut appuyer comme un dératé pour venir à bout de ce demi-millimètre de fond qui consolide le tout ! Le résultat est inverse : ça devient sportif de manger un malheureux carré de pizza. D’autant que dans d’autres contrées c’est mal vue de l’attaquer avec des ustensiles. (Enfin il me semble).
Décision prise donc, c’est comme les frites, je ne peux m’y résoudre avec des couverts quel que soit le lieu. Les frites ça se mange avec les doigts, cherchez pas.
Une fois avalée (teeeellement meilleure sans le bruit du couteau qui crisse!), j’hésitai à écrire ou lire.
J’ai senti une lueur de jaune poussin passer dans le côté gauche de mon champ de vision.
La dame à côté de moi a sorti un livre une fois fini sa salade. Elle a l’air bien et satisfaite.
Lire pour débloquer des bloquages. Lire pour s’évader et laisser faire le travail à l’intérieur. Je sors La vie mensongère…
Très bonne idée je suis bien dans mon Italie vintage dans l’adolescence interrogative de Giovanna et dans mon carré pizza de bonne facture.
Nous sommes donc deux à lire dans cette salle à l’heure du déjeuner. Attablée sur une banquette l’une à côté de l’autre.
Je m’en suis aperçue sur le moment et ça m’a même fait pensé à la fois où dans le métro nous étions deux à ne pas être sur un téléphone, lisant un livre et un journal.
Oui je m’en souviens ; c’est dire !
Je tiens à dire que je ne passe pas mon temps le nez dans les bouquins mais être en permanence esclave d’un téléphone et ne pas observer ce qui se passe dans l’instant, c’est moins mon truc.
Faudrait pas passer pour une intello non plus.
Dans mon confort de lecture et soutien de mon entourage proche, j’avais imaginé que cette dame allait rester un sacré moment à la cantoche du BHV. Les autres vont bientôt retourner à leur stand, la fin de la pause déj’ a bientôt sonné, c’est suffisamment lumineux et la concentration s’y attrape facilement… Dans 20 minutes seuls les retraités et quelques âmes errantes cherchant un espace de coworking sans trop de bruit s’essaimeront à droite et gauche.
Plus quelques timbrés des cadeaux de Noël trèèèèès en amont (bah oui je vais pas me les taper au dernier moments les cadeaux !). Dans une semaine ce lieu sera impraticable pour travailler.
Je me suis bien trompée. Les retraités ont beaucoup à faire.
La dame était déjà debout, son manteau sur le dos :
“Excusez-moi ! Ça vous dit un très beau livre?”
Je viens de le finir et je ne veux pas me le retrimballer jusqu’à chez moi.
C’est magnifique.”
Lire ce livre m’a valu d’en avoir un autre en cadeau. (Oui parce qu’à coté de moi il y avait une autre jeune femme mais avec un badge, elle, en pause déj’!).
Bien sûr que ça me dit ! Vous ne connaissez pas mon penchant pour les beaux gestes entre inconnus et l’inattendu ma bonne dame. Vous ne connaissez pas mon petit coeur non plus… Et puis vous aussi vous dites se retrimballer !
À une époque j’aurais dit quelque chose qui permette de garder une trace pour recontacter cette dame. Par désir d’une part, et aussi par justification de ma reconnaissance. Se sentir Obligée au sens poli du terme, se sentir Obrigada en portugais.
Putain de politesse !
J’ai seulement dit après mes remerciements sincères :
“-Je l’offrirai aussi quand je l’aurai fini !
-Oui il ne faut pas jeter les livres !” m’a-t-elle répondu. Puis elle a repris sa lancée.
Total, comme dirait ma Grand-mère : C’est moi qui me trimballe deux bouquins jusqu’à chez moi !
Ne reste plus qu’à lire Le têtard de Jaques Lanzmann. Voici une courte phrase de la quatrième de couverture, car à cette heure-ci je n’en sais pas beaucoup plus que vous à moins que vous ne l’ayez lu :
”J’avais quinze ans et je ne voulais pas mourir sans avoir fait l’amour et la Résistance, mais c’est bien plus facile de tuer un soldat allemand qu’une obsession sexuelle.”
J’espère que ça vous donnera aussi envie.
Avez-vous déjà reçu des cadeaux d’inconnu(e)s qui vous ont fait plaisir ? Ou pas d’ailleurs ! Je serais curieuse de savoir. N’hésitez pas à le raconter en commentaire !
PS : De ce même genre de manière on m’a offert une place en passant devant les Bouffes du Nord pour une super pièce. Après recherche je viens de retrouver : Monsieur de Pourceaugnac, comédie- ballet de Molière. C’était super et je n’y serais jamais allée moi-même. J’adore ce lieu et je me souviens très bien de l’atmosphère en y entrant.
Cette fois j’avais pris les cordonnées de la dame. Je l’ai invitée ensuite à un ballet d’Angelin Preljocaj, car monsieur ne pouvait m’accompagner. Je suis donc partie avec ma donatrice mais la pluie a eu raison de la représentation après quelles minutes seulement !
J’ai beau remonter la pendule 🧐 pour le moment pas de trace d’un cadeau inattendu d’un ou d’une inconnue … je crois que j’aimerais que ça arrive ☺️