Ma vie sociale à la laverie
En ce moment j'ai tout coupé (vous l'aurez remarqué) mais j'avais envie de vous raconter ceci. Rien qu'ici.
Machine tombée en panne, seul l’essorage fonctionne et dépanne pour laver à la main le petit linge dans l’eau recyclée du bain du bébé. On ne manque pas d’ôter l’enfant avant de vider la baignoire.
14h49 un lundi, fin de séquence de séchage. Moment de femmes apparemment.
De ma fenêtre je vois cette laverie depuis deux ans et demi. Des jambes et des caddies de toutes les couleurs et toutes les allures selon l’horaire.
Une jeune femme, jolie Eurasienne en pantalon large et débardeur noirs, a refait une apparition pour récupérer ses draps transférés d’un tambour à l’autre à mon arrivée. J’ai enfin vu son visage. J’ai profité qu’elle se trouve au poste de séchage à côté de moi pour trouver réponse à ma question ahurie de novice : pardon mais comment fait-on pour ajouter du temps de séchage ?
Je la voyais fermée et pas très commode au départ. À sa démarche de dos alors qu’elle est partie le sac vide et le jeu de clefs en bandoulière à la main dans la ligne de fuite de la rue. Je la regardais s’éloigner derrière la vitrine vue de mon siège numéro 1 sur les deux que compte ce cube de laverie.
Un rectangle, une vitrine, des hublots en réunion tout autour, une table au milieu. Seule tache de couleur : une poutre (ça s ‘appelle comme ça) de deux sièges d’un bleu électrique dos à la vitrine à droite.
Bleu sac IKEA. C’est de mise ici.
Bleu pour faire du propre à grande eau.
Elle est douce et dotée d’un léger sourire à ma question. Des petites taches de rousseurs me perturbent sur son teint bien crémeux et doux. Des taches de son en réalité, comme des confettis lancés là où on ne les attend pas.
Ou des gouttelettes sur un hublot de machine. Ça doit être de mise aussi.
On est solidaire de son voisin sur la poutre comme un oiseau sur sa branche. Certains préfère la ta table pour s’assoir.
Il est moins 5. Juste le temps de lancer la machine qui apparemment dure 40 minutes. Machine à 40 dure 40. Avec un peu de chance deux cycles de 10 minutes de séchage (tiens, le correcteur me propose Seychelles à la place de séchage), et tout sera bien sec. Je pourrai tout replier, dans le sac et hop remonter les cinq étages, redescendre pile poil pour aller chercher le petit animal à la crèche.
Timing, parfait. Un rêve de femme au foyer.
Deux femmes retraitées look coloré cool et cheveux argentés, lunettes rondes graphiques. On dirait des sœurs.
C’est détendu, un dynamisme paisible de lessive écologique.
Au choix machine 9, 12 ou 18k.
K pour kilo.
Dame retraitée numéro 2 à parka jaune, sac en coton noir en bandoulière et son sac à linge type carrefour choisit la 18 kilos.
La vache, mouillé, combien ça pèse les tenues de la semaine ? 2,3…4 fois plus lourd ? En tout cas ça entretient. 2 fois 18=36…54… 72 kilos ?!! Autant trainer un cadavre dans les escaliers.
Ça me fait rire intérieurement.
En une heure j’aurais joué à la machine numéro 13 et séchoir 19.
7,60€ au total de tickets.
À un moment j’étais seule puis nous étions deux avec Dame retraitée numéro 1.
J’ai fait une micro sieste sur ma poutre dans un ronron léger de cycle industriel. Dans un ron en fait, le bruit est un souffle uniforme.
Impossible d’y résister.
Parfait pour mon sommeil de marin. 10 minutes de sieste, température idéale, même pas la bouche ouverte.
La dernière fois que je suis allée à la laverie je vivais à Montréal. J’avais 25 ans et un sac IKEA.
J’ouvre la fenêtre toute ronde qui donne sur mes draps en lin rose pale.
En vrai j’adorerais avoir une grande fenêtre comme ça avec une vue sur une vue extérieure rose pâle.
Le linge de la petite famille dégage une chaleur d’enfer.
Housse, drap-housse, 6 taies d’oreillers, une gigoteuse. Pas 4, 6 taies.
J’aime les strates d’oreillers rectangulaires comme des liasses ajustables à la courbure de ma nuque.
Je retiens le terme gigoteuse depuis que j’ai un bébé alors que j’appelle ça le Sakapatate ou la Tenue de soirée au moment du coucher. Parfois sa cape de super-héros quand je ne l’ai pas encore totalement fermée.
Mais bon, comme dirait mon père c’est un sac de couchage pour bébé.
En attrapant la boule ça semble curieusement léger.
C’est doux c’est chaud. “Fluffy” même je dirais.
L’été a beau ne pas arriver, il fait quand même 20°. Ça pourrait être un sujet de discussion de laverie. (Tiens, le dictaphone me propose discussion de la vie.)
Je ne sais pas quoi faire de cette chaleur.
Je peux la saisir à deux mains et la déplacer. C’est la deuxième fois que je suis perturbée.
Et m*rde, moi qui peste pour les taches pas détachées avant lavage, une micro gouttelette de sang triplement séchées me regarde.
Cuite à point, maintenant c’est râpé.
Elles ont le chic pour apparaître la nuit à hauteur de visage sur les draps. Le lendemain aucune trace de saignement de nez ou de gencives.
Jamais rien compris à ce phénomène, c’est comme le syndrome des chaussettes suicidaires.
Celles qui s’éjectent sur le parcours de la machine avant d’arriver au tambour puis gisent sur le sol en feignant d’être mortes sur le trajet du retour. Des figurantes parfaites mais horripilantes.
J’ai beau lire, je ne comprends pas. C’est indiqué nulle part.
Après mes 40 minutes de machine à 40°, j’ai enfourné les draps dans l’un des grands sèche-linges. Payé 2 fois 10 minutes suite aux explications de la Jeune Femme taches de son. Sur le panneau central qui sert de cockpit au cube de lavage. J’ai fini par enlever un surplus de linge avant de lancer, pour le mettre dans un deuxième sèche-linge pour 10 minutes. Chaleur presque maximale, faut pas pousser.
Ça me permettra d’évaluer la cuisson pour mes futurs passages.
Je tâte. La cuisson est bonne. J’aurais pu tout laisser dans le premier.
5 étages à grimper avec la pelote toute fraîche toute chaude.
Un rêve de chat.
Je dis au revoir aux silencieuses d’ordinaire.
Chacun son linge.
On nous répond volontiers mon-sac-et-moi, déguisé en parfait rôti bardé/ ficelé encore fumant. Surtout Dame retraitée numéro 1, caddie bordeaux.
Il doit falloir du temps pour nouer relation.
Mais ça causerait bien, ça se voit, suffit de craquer une allumette.
La prochaine fois je n’hésiterai pas à rire à gorge déployée.
J’ai hâte de revenir.
Le sol est bien propre et ça va ça vient à un rythme acceptable.
Décidément un vrai rêve de chat.
Des amateurs ou amatrices de laverie ? Parce qu’il faudra me dire à quels numéros vous jouez vous. Et si à vous aussi ça fait de la place dans la tête.
Bisou, bisou !
PS : timing pas si parfait. Il me semblait bien que quelque chose ne sonnait pas comme d’habitude. Arrivée à la crèche… j’avais une heure d’avance !
La prochaine fois je pourrai m’essayer à la 18 kilos.
Ma recommandation à écouter en ce jour de propre : Juliette et sa couette à fourrer dans la housse. Pour le texte exceptionnel à interligne double et la musique également. Chacun y trouvera un couplet à son us et sa coutume. Et parfait comme bande-son pour tenter de plier vos drap-housses. Je dis ça je dis rien, il y’en a un qui en prendra sûrement bonne note.