Après réflexion, inspiration en dents de scie je me suis dis que je devais vous raconter l’histoire d’un fiasco. Un très personnel. L’atelier que je voulais animer dans quelques jours.
Mais tout d’abord je vais dériver un peu.
Il y’a quelques semaines je terminais de travailler sur un tournage qui a accaparé quatre mois de mon temps. Quatre mois c’est peu dans une vie mais c’est beaucoup d’une vie en réalité. Beaucoup trop quand on est dévoué à 100% à un travail (je n’exagère pas et ce n’est pas par masochisme), annihilant tout autre pensée dans la tête et encore moins d’autres activités. Dormir devient le seul but. Mais le sommeil est préoccupé. Manger finit par être un message de plus que le cerveau finit à son tour par outrepasser au détriment des besoins primaires du corps. Oui, le cinéma c’est bien mais pas que. Tout ceci dans quel but ? Pour quoi, pour qui me dis-je alors. Rendre des comptes pour des projets qui ne sont pas les miens me sont de plus en plus difficiles et me parait insensé.
Certes il y a toujours pire ailleurs, et il est de bon ton de cultiver cet art de la culpabilité en disant que d’autres souffrent bien plus. C’est une manière admise d’être positif. D’ailleurs, il s’est passé aussi des choses positives et je suis fière d’avoir participé à un film qui contre toute attente portait des valeurs féministes et même une pointe d’écologie dans un univers estampillé mâle (pour ne pas dire brut d’action). Et fière d’avoir soutenu une réalisatrice là où on ne l’attend pas.
Mais je continue de souhaiter de me sentir bien dans mes baskets (c’est-à-dire pied nus), dans les miennes, pas celles de quelqu’un d’autre.
En un mot je veux pouvoir me sentir bien employée dans mes réalisations (celles que je décide de surcroit), en fonction de mes aspirations, qualités et talents. Et donc être utile. Là je pourrais épiloguer sur la question même de pourquoi la nécessité de se sentir utile mais ça mériterait une autre lettre.
J’en reviens à cette fin de contrat.
Une fois terminé j’étais surexcitée, dopée d’une énergie créatrice, celle dont on m’avait privée pendant tout ce temps. Je n’avais qu’une hâte : reprendre la trajectoire de mes écrits, des couleurs végétales que j’expérimente dans mon atelier, de mon scénario, de toutes les idées d’une manière générale qui font de moi un être pensant et générateur de concepts si je puis dire. Je crois que je ne suis pas mauvaise pour ça.
À peine fini, j’avais donc cette envie irrépressible mêlée à une fin d’automne fort lumineuse
Soleil Joie, feuille virevoltante laisse place à l’arbre caduque
de partager la joie et mon expérience de la couleurs en dispensant un atelier. Une idée qui était là depuis un moment, un déroulé imaginé avec soin. Faire des cartes teintes en couleur végétale comme de petits paysages émotionnels de l’instant. L’envie de rencontrer enfin d’autres personnes à qui transmettre tout ce que j’ai découvert un jour en pratiquant cette couleur, cette matière faite d’inattendu.
J’aime cette magie de l’inattendu.
Instagram m’a permis de créer ces liens avec un certain public, pas immense mais bien là, cependant virtuel. Et je serai toujours reconnaissante envers certaines de ces personnes qui me suivent pour leur présence, parfois dans des moments de profonds doutes et de solitude, qui apparaissaient tels de petits génies. La rencontre reste un désir pour moi, ainsi qu’un challenge. Quatre ans de vécu à la campagne ont nourri par la frustration de l’isolement, le besoin d’être face à des personnes et dans l’interaction, de se retrouver pour partager.
Donner un cours ce n’est pas rien. C’est donner de soi, vouloir être à la hauteur, permettre d’apprendre (notez que ça se lit dans les deux sens). C’est jouer aussi. Et faire plaisir. J’ai toujours aimé recevoir et faire la cuisine, accueillir à table. Passer 2h30 à transmettre se doit de contenir cette approche selon moi.
J’ai donc trouvé un endroit. Un atelier très accueillant d’une céramiste très sympathique au bord du canal de l’Ourcq. J’étais passée devant par hasard et il m’avait tapé dans l’oeil. J’avais très envie de remettre les mains dans la terre à l’occasion, déjà ça me plaisait. Ce retour à Paris pourrait me permettre ça. Ce n’est donc pas un hasard !
Je me suis tout de suite vue autour de cette table avec cette lumière du nord, les céramiques sur les étagères aux formes de gorgones ou d’éponges de mer, à tremper les cartes dans la couleur et se laisser guider par la chimie végétale. Enfin je pourrai faire découvrir le nuançage au fer qui en un instant modifie une couleur de plante en toute une palette entière. Complémentaire.
Bref, Julie la céramiste accepte que je lui loue l’atelier pour un créneau. Tous se fait si simplement que ça colle encore à cette énergie initiale et me galvanise.
Tout s’emboîte.
Je fais donc un flyer, le poste sur Instagram, les réseaux comme on dit. Seulement les réseaux aiment qu’on joue avec eux régulièrement, que l’on soit reconnaissant et plein de louange, ce qui n’est pas toujours mon cas. Je déteste Facebook et n’y vais quasiment jamais à part pour remercier (souvent trois semaines plus tard) les personnes qui me laissent gentiment ou machinalement un message pour mon anniversaire.
Rappelez-vous je suis polie !
Navrée mais je n’adhère pas à ce lieu d’errance, d’ennui et de non information, de messages haineux ou lobotomisés, d’avis à l’emporte-pièce. Rien que l’interface me fout le bourdon. Je suis une TRÈS mauvaise élève. Et mon sens de l’indépendance l’assume totalement tout en étant heurté par les conséquences, celles d’un manque de résonance.
Le seul réseau pour lequel j’ai mis ma sincérité et mon énergie est mon compte Instagram, car il est le lieu ou je partage mes avancées, questionnements et expériences concernant l’une de mes activités : la teinture végétale. Bien que je commence à m’y sentir prisonnière et tourner en rond c’est encore là que je me sens le plus “chez moi”. Mais je déplore cette course permanente à l’algorithme et la publicité.
Pendant des années cela n’existait pas sur Instagram. Nous partions d’une image sous un point de vue très personnel que nous faisions parler. La beauté d’un cliché ou juste un air amusé, explicite ou à décoder. Aucune idée derrière la tête de vendre quoi qu’il soit. Bref un jeu de regard et d’esthétique condensé dans un petit carré imposé.
Puis Instagram est devenu Facebook. Pardon Meta. Et désormais même sur Linkedin il y a de la publicité. Pardon, du Contenu Sponsorisé. LE réseau du boulot ne cache plus que derrière une personne se cache un produit !
Quatre mois sans l’ouvrir (dans tous les sens du terme), ne m’ont pas aidée. Bien sûr je ne l’ai pas annoncé uniquement sur Instagram. Bien sûr j’aurais pu faire plus, plus, plus.
Mais au final, n’ayant reçu AUCUNE inscription malgré quelques retours emballés et me félicitant, j’ai décidé d’annuler purement et simplement l’atelier !
De l’entrain joyeux au fiasco total il n’y a qu’un pas.
C’est con j’aurais préparé des super cookies pour qu’on se présente en bafouillant et en mettant des miettes partout !
Je suis passée par un bon moment de déprime totale bien sûr pour finalement me dire que je ne veux pas perdre trop d’énergie à lutter contre.
Ce n’est pas la première fois en réalité. Ce résultat de ne pas se sentir entendue, révélée à sa juste valeur, continuer avec la même ferveur malgré tout, être patiente, reconnaître quand arrive la bonne heure.
Cette sensation d’être engluée, enchevêtrée est pénible à la longue. Car le temps passe. Dans quelques jours j’aurai 42 ans. D’ailleurs l’évènement pour lequel je devais teindre 75m de chemin de table a été repoussé en juin ah, ah ! Autant dire annulé pour l’instant. Je finis par trouver ça drôle. Mais épuisant et rageant.
Je suis ce que l’on appelle une Late Bloomer apparemment. Je recommande ce petit livre de Catherine Taret dans lequel je me suis reconnue, si vous avez ce genre de sentiments. Vous n’êtes pas seul(e) !
Où écrire dans ce cas ? Où montrer ? Où dévoiler ou dialoguer ? Où s’interroger à plusieurs à la fois ?
Au final j’en reviens aux mots, et c’est pourquoi écrire directement à des lecteurs m’ont amenée à m’exprimer ici. Je suis toujours attirée par l’idée que l’inconnu va mordre. Mon enthousiasme n’est pas entamé et je le répète :
J’aime la magie de l’inattendu ! Ça finira bien par retentir.
Écrire c’est dire en silence. Avec la possibilité de monter le son. Fort. Très fort.
Et en tant que lecteur.ices, vous avez le pouvoir de lire en résonance et de couper court au sortilège qui me suit et me maintient dans un écho trop peu puissant !
Ahhhh ce putain de volume assourdi !!
(Voyez, en fait je ne suis pas toujours polie).
Profitez-en pour l’instant vous êtes peu nombreux, nombreuses. On peut encore se sentir tenir salon comme dans un club privé anglais (d’ailleurs c’est un de mes rêves d’en créer un, dans une serre du XIX ème siècle.) Sachez néanmoins que mon club ne sera jamais guindé.
Faites de ce lieu le vôtre, pour vous exprimer et révéler vos fiascos. C’est le moment de les exorciser. Et rappelez-vous que le ridicule ne tue pas !
Je vous laisse et m’en retourne à l’idée qui m’a traversée l’esprit hier en branchant pour quelques jours le chauffage d’aquarium de ma cuve d’indigo, car là il fait vraiment trop froid dans l’atelier :
Combien de poissons vont-ils finir dans le circuit de la chasse d’eau parce que “comme ça ils restent dans leur élément” ?
À force d’insistance du gouvernement pour réduire sa consommation énergétique par “les petits gestes du quotidiens”, il y a bien des imbéciles qui vont se dire que leur aquarium consomme trop et donc se débarrasser de leurs occupants.
Dans quelques années auront-ils grandi dans un lac telles les tortues naines abandonnées qui ont fini par devenir géantes et bouffer tout son contenu ? (Heureusement qu’il y’a des crocodiles évadés dans les égouts parisiens pour couper court à cette chaîne alimentaire issue de la guerre énergétique).
Rassurez-moi, vous aussi vous pensez à des trucs comme ça ! Non ?
Je vous embrasse.
PS : je n’ai pas arrêté d’osciller entre je publie, je ne publie pas. Au final j’ai tronqué toute une partie en me disant que ça serait trop long. Bref maintenant je m’interroge sur l’auto-censure, ça n’en finit pas !
À vous de me dire ce que vous en pensez lorsque vous romprez le sortilège…
Bisou !
Hello Shéhérazade,
Du fin fond de mon hôtel brestois (je suis en déplacement pro hors teinture) je te lis et me dit mais mince alors dans quel monde vit-on?!
Se faire entendre/voir/apprécier/aimer/liker … Fatigant travail de tous les jours qu’on se sent obligé de mettre en place pour faire vivre notre passion! Quelle histoire!
Je comprend ta frustration de n’avoir vu aucun inscrit. Ça m’est arrivé aussi il y’a peu malgré tous pleins de promo/pub/affiches/posts/publications/bouche à oreille possibles.
Parfois je crée juste pour moi en posant mon tel et en prenant mon temps, sans chercher l’approbation de qui que ce soit. Et au final c’est ce qui fait le plus de bien non? Je sais que tu le fais, et c’est ce qui nous sauvera tu crois pas? ;-)
A bientôt de te lire ici ou ailleurs, peut être un jour à Paris ou en Bretagne ?
Pauline