Ma vie sociale à la laverie #2 -L'accident parfait
Où l'on apprend qu'un accident peut être très bien exécuté car la vie est bien faite.
Rentrée de plusieurs semaines sans les contraintes d’organisation parisienne, je retrouve l’extension de la vue de notre chambre et les jambes qui dansent à la laverie.
Vulgairement je pourrais dire que j’ai foiré ma dernière machine.
Trop bourrée, j’ai hésité à séparer en deux ou choisir la 18 kilos. Mais je ne sais pas, je ne la sens pas celle-là… à moins que je ne sois par encore prête.


Je suis arrivée avec deux sacs, un de vêtements clairs un autre de draps clairs.
Je veux optimiser, ces machines c’est du robuste. Et puis je continue de tenter des choses. Je sais qu’un séchage 10 minutes par exemple ce n’est pas assez cuit pour une bonne tournée. Un 20 c’est vraiment bien.
Aujourd’hui je joue la 16, bien bourrée du coup.
Je laisse un petit tapis en coton que je ne me résous pas à joindre au linge des familles. Vraiment pas sale, je voulais juste le rafraîchir car il a attendu tout l’été sous les différentes atmosphères parisiennes.
Je rigole parce que ma mère se dirait la même chose.
Mais je m’y résous pas et là, la machine va tout me recracher au visage si je la nourris encore.
J’ai ressorti ma mini bouteille en verre de bissap 20 cl recyclée en dosette de lessive depuis mon entrée dans le business des Laundromat.
Comme quoi, je garde des trucs qui servent.
Après hésitation à lancer tel quel, je rajoute un peu de lessive.
Le cocktail ne me semble pas assez tassé lui.
Je ne voudrais pas me retrouver avec une machine d’odeur à moitié propre. Non pas que le propre sente quoi que soit, mais la lessive même écologique décide de sentir quelque chose si elle a été dosée correctement.
Je réfléchis. Mon dosage me semble cohérent car il y’a en réalité deux machines habituelles en une, et ma petite bouteille contient deux grosses doses.
Allez encore un petit coup et on est bon.
En reposant mon nécessaire de joueuse (sac de courses en jute aéré + sac monop robuste plastifié + bouteille de cocktail non alcoolisé) je remarque un dépliant
“Qui est Dieu ?” posé juste à côté.
Encore la signature de l’un des ces ahuris de Témoins de Jéhovah qui pullulent dans le quartier. La mode des années 90 revient apparemment.
Habituellement ils sont par deux à discuter devant leur présentoir rempli à l’angle du métro ou à côté du primeur, maintenant ils s’étalent un peu plus.
Ça ne coûte rien de tendre un peu de lecture dans une salle d’attente qui sent bon.
Je m’empresse de le prendre pour le jeter en sortant, et garder cet espace de brassage vierge de tout prosélitisme.
Je le déchire en deux. Le pose en attendant d’aller payer.
Je ne peux pas m’empêcher de penser aux fois où nous passions devant le siège de la Scientologie en faisant un bras d’honneur et en gloussant avec mon amie Claire.
Nous habitions juste à côté du livre géant de la “Dianétique” en vitrine, et des promesses de Ron Hubbard accompagnées d’un test gratuit de personnalité aguicheur.
Je me marre.
Je continue mon ballet habituel et me rends vers le tableau de bord des lieux, d’où je déclenche la 16 qui va se débrayer à distance.
Mon téléphone m’a reconnu, mon paiement est accepté, y’a plus qu’à appuyer sur le bouton de la machine.
C’est lancé mais je suis perturbée.
Je vois bien qu’il n’y a pas assez d’eau. Est-ce que ça va tourner comme ça jusqu’au bout à moitié sec, à moitié badigeonné ? J’aurais presque envie de balancer une poignée de glaçons dans le compartiment à lessive pour que ça se diffuse dans le tambour…
Je suis inquiète.
J’essaie de modifier le programme et d’ajouter Prélavage et Rinçage plus. J’aurais pu y penser avant…
Le biiip buté de la machine me répond par trois fois obstinément. J’ai l’impression de voir mon fils d’un an qui refuse catégoriquement que je lui ôte la brosse des toilettes pour les récurer, les yeux mi-clos.
J’attrape mon nécessaire pour sortir, et là…
Patatra ! Splash ! la bouteille et le restant de lessive s’éclatent au sol en s’échappant du sac.
M*rde ! M’exclame-je.
Puis m’excuse auprès de la dame pas très aimable assise sur la poutre bleue (voir précédemment). Pas tant pour le juron que pour dégueulasser les lieux.
Je m’en veux de m’être encore excusée parce qu’au fond il y’a pire et elle a le coin de la bouche en tapis essoré, la dame…
Je sens bien qu’on ne va pas discuter toutes les deux.
Elle marmonne un truc qui me fait comprendre que ce n’est pas grave et me laisse œuvrer en s’écartant. Un peu d’action dans ce salon à regarder par derrière faudrait pas s’en priver !
Que le spectacle commence
Contre toute attente, j’ai alors jubilé dans mon malheur, voyez-vous.
Car TOUT tombait parfaitement bien.
Je commence par enlever les deux gros morceaux de cadavre.
M*erde encore, je l’aimais bien cette bouteille !
Souvenir d’un marché d’agricultrices. Heureusement, je l’avais immortalisée pour raconter ses aventures. À chacun ses réflexes.
Je m’empresse de récupérer ma pelle et ma balayette, à savoir mes deux morceaux de Témoin de Jéhovah.
Le Témoin pousse alors le magma de lessive et de petits éclats de verre restants sur Jéhovah.
Tout le monde est rassemblé, recollé les morceaux, la famille au complet.
Une fois réunis ils atterrissent dans une poubelle qui a la bonne idée d’être là, au pied des deux seules chaises de courtoisie.
Reste une petite mare à évacuer, j’utilise alors mon tapis resté spectateur bien sage à attendre une fois de plus !
Il absorbe de sa rugosité tissée serré la totalité de la tache.
Rien que ça.
Si ne je n’avais ajouté un dernier trait de nectar dans le cocktail, mon tapis de salle de bain aurait fait la moue.
Maintenant qu’il est bien imbibé il va pouvoir finir dans l’eau du bain et essoré par la machine à domicile (voir précédemment bis). La superficie de l’appartement saura sécher sainement l’unique serpillère de bonne fortune.
Encore un rêve de ménagère.
La revue pour brebis égarées qu’il faut faire patienter a bien atterri à la poubelle comme prévu mais maculée d’un manteau glacé, brillant de mille feux.
Me vient alors à l’esprit la robe de Céline Dion à la cérémonie des Jeux Olympiques.
Je me marre encore.
Si ça ce n’est pas réussir en beauté ces aléas…
Je suis ressortie glorieuse de mon retour à la laverie et de ma vie sociale locale que je n’aurais soupçonnée. Finalement le jour où notre machine a décidé de ne plus exécuter que l’essorage et la vidange s’avère être un bon jour.
Un tournant dans ma vie parisienne.
Je note le message TONITRUANT de la vie qui me glisse que l’on peut toujours voir les bons côtés d’une situation !
Je vous laisse, je redescends voir si mon cocktail a bien été passé au shaker, qu’on ne m’ait pas servi un pisse-mémé à moitié touillé à la place.
Bisou bisou !
PS : Cherche bouteille à recycler en mignonnette. Me contacter en MP pour toute proposition. Pas de plastique autorisé je ne voudrais pas rater l’occasion de rejouer un drame si savamment fini.
Ma question de la semaine qui me brûle les lèvres : où aimez-vous observer les gens ?
PS 2 : Point de catastrophe, et là j’écris après avoir remonté les cinq étages. Au passage j’ai dit bonjour aux pieds de Monsieur Crocs Bleues Marines fort sympathique, qui avait laissé ses chaussettes de sport dans l’unique bac de transit en plastique noir.
-C’est à vous ça ?!