Cette lettre est quasi prête depuis quelques jours mais pas suffisamment pour qu’elle vous parvienne avant cette nouvelle année. Plutôt que de vous souhaiter un bon nouveau départ je vous souhaite une belle continuité. Et le plaisir d’ajouter un peu plus de lumière chaque jour car nous fêtions il y’a peu le solstice d’hiver. Et ce jour a beaucoup plus de sens à mes yeux depuis ces dernières années que le soir de Noël ou le nouvel an.
Cela n’empêche d’apprécier tout ce qui peut créer de la chaleur et du réconfort en cette période, de se réunir, à peu (avec soi-même déjà) ou à plusieurs. Aviver la flamme du foyer et s’en nourrir le temps que les chatoiements extérieurs reviennent.
Peut-être qu’a la fin de cette année lorsque les jours raccourciront à nouveau j’aurai l’occasion de vous partager mes façons de profiter de cette période ici même.
Cette année je n’ai rien fait.
À noter : point de version audio pour aujourd’hui, je suis malade et j’ai la flemme il faut bien le dire pour l’enregistrer. Je suis à moitié sourde, le nez bouché, les éternuements à la gâchette facile, pas sûre que le résultat serait très probant !
J’ai terminé de lire il y’a quelques semaines le livre Éden de l’écrivaine islandaise Auður Ava Ólafsdóttir. L’histoire d’une linguiste qui achète un terrain lunaire dans la “campagne” islandaise pour y planter des arbres. Beaucoup d’arbres.
Et y cultiver son jardin.
Il faut savoir qu’il n’y en a presque pas en Islande.
L’histoire se passe dans ce pays où plusieurs mots existent pour définir les types de vents ou la force des vagues. Sur une île parmi les plus ventées du globe, peuplée d’une langue des moins utilisées au monde. L’héroïne est d’ailleurs spécialisée en langues rares sur le déclin, voire…disparues !
Plusieurs choses me sont restées de ce livre.
Tout d’abord il y’a ces incursions linguistiques de la narratrice au fil des pages. Par sa déformation professionnelle elle ne peut s’empêcher d’entendre ou de “voir” l’étymologie de certains mots, à mesure d’une discussion ou de l’errance de ses pensées.
Ils apparaissent comme des bulles qui éclateraient d’une page de Bled ou de Besherelle chaque fois qu’elles font éruption dans sa tête.
J’ai ainsi appris le terme :
Ómálgá : qui ne sait pas encore parler.
Note : Je trouve que ces quelques mots sont un vers à eux seuls et (ferait un très beau prénom).
Mais j’ai surtout trouvé un mot qui n’existe pas dans notre langue et que j’ai lu en me disant “-Enfin !”
Omalga désigne ainsi les bébés pendant tout cet âge où ils n’ont pas commencé à extérioriser une langue articulée avec leur entourage. Ce terme m’a percutée et même émue car j’ai la sensation d’avoir trouvé ce qu’il désigne de très beau dans la communication.
Dans la langue commune.
Ce moment où nous échangeons, nous comprenons par des sons, des regards, des gestes, des touchers. De mon petit mammifère à moi-même, de lui à nous-autres ce mode d’interaction nous va bien.
Je me suis toujours demandée quand l’aura des bébés périmait et quand il perdait leur étiquette exceptionnelle les qualifiant de à part, pas touche, eux d’abord, prodigieux, merveilleux.
Pourquoi ? Pourquoi effectivement. Qu’est-ce qui fait que nous perdons ce champs d’attraction ?
À partir de quel âge perdons-nous ce label pour devenir comme les autres (commun, commune….) ? Pire, à partir de quel âge devenons-nous un con parmi les autres ?!
La mise aux normes certainement.
Une fois que le langage apparait on peut penser qu’un enfant commence déjà à être formaté, que l’infusion de notre société a commencé à agir et montré certaines voies à l’enfant. Celles que l’on estime les bonnes. Et les autres que l’on ne manquera pas de renier ou de bannir.
C’est parce que ce schéma y est inexistant que j’aime la communication avec les animaux. Elle est pure, directe, passe par le corps et le regard… et dure tout le temps d’existence de l’animal à vos côtés car il n’apprendra pas de langue parlée.
Ronron.
La force de cette communication est selon moi incommensurable et quiconque accepte de partager sa sensibilité avec une autre « espèce » (puisqu’on aime ordonner) en ressent la singularité de ces liens.
Mais nous en sommes encore à juger de l’intelligence de tel ou tel animal et de sa sensibilité. Va pour envisager d’estourbir les crabes avant de les ébouillanter, car on concède qu’il y a peut-être un semblant de ressenti, au moins physique…
Je me dis souvent que si les poissons avaient des cordes vocales on aurait certainement plus de considération pour leur sort pris dans des filets agonisants jusqu’à l’asphyxie.
Ça me rappelle ma prof d’Allemand de 6ème, qui un jour s’était emportée en nous assenant que les animaux ne réfléchissaient pas, qu’il n’avaient pas d’intelligence. Uniquement de l’instinct.
À l’époque j’avais un chat que j’observais dès que je rentrais à la maison. Je la voyais bien, plantée à des endroits bien précis, calculer son parcours avant de s’élancer le long du lit, bondir sur la paille japonaise1, y grimper comme à une échelle pour aller nicher au dessus de l’armoire normande de mes parents. Ou bien s’élancer sur les voilages du salon après un sprint déterminé dans le couloir de l’appartement.
Parce qu’en plus elle aimait alterner les plaisirs destructeurs.
En y repensant et avec du recul, je sais que ma prof d’Allemand, en nous faisant sa déclamation, extériorisait autre chose à ce moment-là. Elle ne souriait jamais, semblait dévouée à la rigueur de son enseignement et de ses bandes magnétos qui ânnonaient nos leçons de “Hallo Freunde”. Elle les calait avec une extrême dextérité pour retrouver un début de phrase ou de dialogue. Et j’ai même essayé de faire la même chose sur notre chaîne hi fi dans ma chambre.
En y mettant toute sa conviction que ce sens “humain” ne pouvait exister chez les animaux, elle parlait d’autre chose. Quelque chose qui l’avait blessée et que je ne saurai jamais. Elle y mettait beaucoup de véhémence derrière ses lunettes dorées, sur un ton péremptoire, en hochant la tête pour appuyer son affirmation.
Pourtant un jour, à la fin d’un cours, elle m’a montré que son sens humain bien à elle existait. Elle se souciait de moi alors qu’elle nous foutait les jetons à coup de zéro sur nos interros. Un devoir sur table en particulier fut annoncé un jour avec seulement ces deux options possibles : un sans faute ou deux heures de colle pour bûcher !
Un datif raté ou une mauvaise conjugaison me collait des angoisses.
Le pire c’est que j’ai eu 20/20 cette fois-là.
C’était déroutant.
Vision de ma prof seule dans la classe, ses cheveux un peu filasse vaguement attachés sur tentative de blond, tailleur bien rempli et chaussures à petits talons usés qui marquaient nettement la base de ses orteils.
Efficacité, zéro perte de temps. Elle me demande si ça va en ce moment.
J’en suis tombée des nus.
Et j’avais beaucoup de respect pour cette femme.
Les silences dans la langues
Une autre évocation dans le livre m’a parue évidente. On communique bien plus dans les silences que dans les mots en eux-mêmes. Et finalement nous utilisons peu de mots (et de moins en moins, mais ce n’est pas une surprise me direz-vous).
L’un des personnages compare ces silences à une partition de musique qui peut se lire.
Je trouve ça très beau et très vrai. L’image est parlante.
Ne comprenons-nous pas une personne grâce à notre perception de son visage, de l’accentuation de son corps ?
Et de ce qu’elle ne dit pas.
Avant d’avoir Jasmile et pendant ma grossesse j’avais ces images de ce petit animal que je rencontrerai. Ce ne serait pas un parfait étranger car je le connaissais déjà un peu. Par ma perception justement. Et tout ce qui m’importait était de renifler ce mammifère que je portais à la fin de tout cet emboîtement de sens en accouchant.
Un jour de sens.
Pas touche, pourrais-je ajouter. Pas touche à ce bébé et son aura admis par la société. Observons d’abord. Point d’estampillage. Merci.
Petit Animal, je veux t’observer.
Te comprendre tel que tu es. Te laisser être.
Tant que la langue n’existe pas ça semble si facile.
J’ai envie de laisser le formatage et l’enseignement des usages de la société en dehors de tout cela.
Cette question me parle beaucoup et va m’accompagner encore un bon moment. Et bien que je sois quelqu’un de bien élevé je ne veux perdre de vue ce sentiment originel et cette partition la plus naturelle possible pour ce petit individu.
Reste à trouver le bon équilibre pour que mon petit animal reste sauvage et s’adapte aussi aux circonstances de la société.
Je vous dirai ça dans vingt ans.
Aujourd’hui le soleil s’est levé à 11h07 à Hella (prononcer Hetla) et se sera couché à 15h43. Mais les premières lueurs sont apparues à 9h54 tandis que les dernières miroiteront à 16h57. Le jour aussi est une question de perception.
Bisou bisou !
Paille japonaise
: welcome dans la fin des années 1980/ 90 ! La paille japonaise pour celles et ceux qui ne connaissent pas est un papier peint en relief grâce aux “pailles” cousues horizontalement. Elle donnent un aspect naturel et chaleureux au fond coloré du papier. Nous en avions un couleur saumon dans le salon. Ronron encore.