Le sommeil de marin et l'iceberg
Déjà deux mois depuis la dernière lettre. Je voulais finir un brouillon de “La famille converse” initié il y’a un moment en cette période de citrons, mais nous verrons bien où cette lettre nous mène.
Nous verrons bien où les deux heures devant moi nous mènent car je vais dérouler le fil tel qu’il vient.
En regardant ces deux mois passés j’ai la sensation d’un gros bloc d’hiver comme un morceau d’iceberg détaché depuis la naissance de Jasmile. Deux épisodes de bronchiolite en dessinent le contour inférieur et supérieur, tandis que le coeur serait rempli d’un sommeil de marin.
Au cours des trois premier mois après sa naissance je me réveillais en général trois à quatre fois la nuit pour une tétée à portée de bras et de couffin. Le tout sur un air de : je repose le petit paquet, il se rendort, reprise de sommeil, puis on recommence. Et la journée je me sentais bien dans l’ensemble à part quelques fois bien sûr où la continuité de mes jours et de mes nuits entamait un jet lag.
Mais ça allait. Et c’était l’automne.
Et cela avait forcément un début d’incidence : celle d’un temps qui s’annonçait s’installer pour un moment dans ma résonance physique et mon organisation biologique.
Le corps s’adapte à un point exceptionnel que j’aime à observer depuis ma/ mes grossesses. Notre société au mode de vie et système de santé occidentale a tendance à vouloir lisser les ressentis et la douleur, alors que nous avons déjà en nous une grosse capacité à résoudre et réguler ces informations.
Encore faut-il les entendre, puis apprendre à les écouter. Je vous invite à lire ou relire Tétée où? où j’en parlais.
Donc en début de vie “officielle” de maman je commençais à expérimenter néanmoins ce que j’ai appelé mon sommeil de marin.
Depuis Noël, cela a pris une autre tournure. Et nous avons atteint l’hiver et le manque de lumière qui répare naturellement déjà pas mal de chose quand le sommeil manque.
Étant moi-même malade avec mon bébé (vraiment malade comme je n’avais plus l’habitude), le sommeil de marin a puisé dans mes ressources qui m’apparaissent comme le voyant d'essence qui s’allume sur un tableau de bord. Selon les réservoirs disons qu’il me restait 40 km avant la panne sèche. Et la panne sèche malade avec un bébé, allume d’autres voyants qui en plus d’immobiliser votre véhicule peut en immobiliser au moins un autre car il dépend totalement de vous. Sans compter le véhicule conjoint, au final on peut assister à un carambolage familial qui ressemblerait à ces gros semi remorques qui transportent des véhicules bons pour la casse sur l’autoroute !
L’image me fait bien marrer et pour filer la métaphore de fille de garagiste, je dirais
“Ne vous inquiétez pas, j’en ai encore sous la pédale !”.
Oui c’est vrai, mais atteindre ce genre de limite physique doit servir.
En effet mes réveils la nuit se sont intensifiés si bien que mon sommeil a fini par s’interrompre systématiquement dans mes cycles profonds. Ou plutôt, je n’ai plus eu de cycle complet, réparateur, pas même un.
Si bien que les quelques fois où j’en termine un, voire deux car Monsieur prend le relais ou que le petit paquet se réveille moins, j’ai une sensation d’extrême réparation.
Véritablement. Si bien que je suis persuadée d’avoir dormi 4 ou 5 heures, ce qui équivaudrait à une nuit de huit heures en temps normal.
Le cercle vicieux s’installe alors.
Je suis persuadée qu’il est au moins 5 ou 6h du matin, que le jour va bientôt se lever et que nous allons démarrer une nouvelle journée (reposée en plus ma bonne dame).
Que nenni ! (c’est drôle car Nenni en arabe signifie dodo).
J’arrive ainsi dans le corps flottant de l’iceberg et sa partie à la dérive
Au choix se présente la possibilité de faire une insomnie, ou de réitérer les micro sommeils… qui seront interrompus à nouveau.
Autant vous dire que ce jet-lag est bien particulier.
Mes insomnies de grossesse m’emmenaient dans un pays que j’aimais beaucoup, j’y ai écrit quelques textes ici ou là que vous avez pu lire ici-même, ressenti des moments extraordinaires épidermiques, jouant de l’élasticité du temps, de l’infiniment petit et l’infiniment grand.
Un Petit Point dans l’Univers que je suis.
Pourquoi ne pas en profiter me direz-vous ?
La sensation n’est pas tout à fait la même. J’ai atteint une nouvelle dimension de faisceaux horaires qui semblent tourner comme une horloge folle d’Alice aux pays des merveilles, ou d’une boutique de Vivienne Westwood.
La grosse différence avec la grossesse je pense, est le fait de réitérer ses journées en fonction de son bébé qui forcément laisse moins de latitudes pour trainer au pays des insomnies créatives.
Je dis ça, et en même temps, je commence à devenir entraînée à la capacité à extraire l’élixir fonctionnel d’une plage horaire minime de temps “libre” qui se propose à moi.
Une sieste, une tétée les mains libres, une partie de jeu au calme où mon interaction ne semble pas nécessaire au petit animal… et depuis peu, un peu de crèche.
Vite il faut connecter le cerveau et rendre son esprit totalement libre pour enclencher une activité.
J’ai toujours eu besoin de sas pour passer d’une activité à une autre auparavant. Et c’est ce que j’aime, cette multiplicité d’activités dans ma vie. Notamment pour passer de l’intellect au manuel, ou pour raccorder le corps et l’esprit. Chaque moment de moi avait besoin de plus de temps pour se présenter et exister sur l’instant.
Désormais je commence à compiler les feuillets beaucoup plus vite telle une presse à papier qui écrase lentement mais opiniâtrement sa liasse.
Ça ma vieille tu ne vas pas le laisser passer, t’as une heure, tu fais ou tu fais pas ! me dit mon cerveau.
Oui, mes liasses deviennent plus épaisses.
Alors de plus en plus je fais même si ce n’est pas tout à fait ça. Même en Jet Lag Alice. Sauf cas extrêmes quand les aiguilles ont carrément sauté du cadran :
Merci de laisser dormir l’animal blessé.
Mon sentiment est qu’il faut malgré tout être solide en son soir intérieur pour résister à la panne de ressource. Même si la tâche à mener une existence avec et d’un enfant vient résoudre des choix par la force des choses.
J’en reviens à ma conviction d’avoir un enfant “sur le tard” comme on dit et que mes 43 ans (et les 52 d’Ivan) auront au moins apporté ces bénéfices. Ceux d’une vie de petits icebergs qui ont déjà flotté dans nos océans respectifs.
Et notre grand émerveillement d’assister à un phénomène naturel époustouflant.
Je disais l’autre jour sur Instagram que le fait de se sentir empêché.e peut être une bonne manière de tester votre motivation.
J’ai moins de temps désormais mais j’ai plus de temps effectif. (Donc j’en ai plus !) Tout ce sur quoi j’ai travaillé ces 6 dernières années prend le chemin d’un assemblage évident et plus naturel. L’étau se resserre, les choix avec. Mais attention, pas n’importe lesquels, des choix de choix ! Et j’insiste sur le fait d’avoir beaucoup travaillé en amont sur moi-même, sur le chemin que je veux prendre dans ma vie personnelle et professionnelle et ce que je souhaite réaliser comme une nécessité.
De petits glaçons se consolident les uns aux autres. Je sais qu’ils vont prendre le temps nécessaire pour former mon nouvel iceberg avec une partie bien immergée et solide. Et ses hanches bien assises dans l’océan laisseront découvrir sa hauteur pour briller de cette lumière franche et éblouissante.
Et s’il dérive, ce n’est pas moi qui m’y opposerait.
Une Vanupied garde toujours un penchant pour l’itinérance.
Voilà où nous aura mené notre fil en ces deux heures de temps. J’espère que que cette exploration à 12h09 vous conduira à continuer la pelote avec moi. La prochaine lettre devrait être bien plus rapprochée.
Petit conseil : pour les prochaines fois, cliquez sur le titre de la lettre quand vous les recevez. Vous les lirez ainsi sur le site et donc un fond qui n’est pas blanc :) Beaucoup plus agréable et à l’image de Facteur commun.
Je vous embrasse en ce lundi et ces quelques éclaircies parisiennes, continuez de m‘écrire en répondant à l’email reçu. Et de faire découvrir Facteur Commun ! C’est toujours un plaisir et ça me permet à moi de ne pas perdre le fil justement. Il est toujours difficile de se sentir parler sans répondant, même avec la plus grande des convictions.
La suite arrive bientôt car je dois vous faire part de mon premier petit glaçon qui constituera mon iceberg. Et nous dériverons, je le souhaite, ensemble.
Bisou, bisou.